L’importance de la minute de repos en boxe

Christophe Franck / Jérôme Huon - 2017-02-02

Le coaching pendant la minute de repos en sport de combat : interactions, ressentis et influence sur la performance.

Dans un combat de boxe (c’est également valable pour d’autres sports de combats ou arts martiaux), le combattant est seul pour gérer son affrontement pendant les reprises. En revanche, il rejoint son coin pour les minutes de repos. L’occasion pour le ou les entraîneurs de distiller des consignes et de booster leur athlète. Dans cet article basé sur les témoignages croisés de combattants et de coachs, les attentes, le ressenti et l’efficacité du coaching durant cette minute de repos sont comparés et analysés pour proposer une démarche amenant un coaching gagnant.

Cet article est basé sur l’étude réalisée par Jérôme Huon, entraîneur national de Savate boxe française, dans le cadre d’un mémoire de Master 2 « Sport, expertise de la performance de haut niveau ». L’étude porte sur les interactions entre le boxeur et le coach durant la minute de récupération d’un combat. Le travail a permis d’évaluer le ressenti individuel (des boxeurs et des coachs) de l’influence du coaching sur la performance. Pour mener l’étude, un questionnaire a été rempli par 25 compétiteurs et 22 coachs. A l’issue de l’examen de ces questionnaires, des entretiens d’auto confrontation ont été réalisés en visionnant les minutes de repos d’un combat concernant un boxeur et un coach. Des constats et des préconisations sont fait en conclusion de cette étude.

Minute de récupération ou de coaching ?

L’observation de l’attitude des combattants et des coachs pendant les minutes de repos de combat permet de dégager des comportements et des fonctionnements revenant majoritairement. Les témoignages (voir ci-dessous) apportent également des informations sur les attentes et le ressenti de chacun, boxeurs et coachs.

Présente dans toutes les observations et tous les témoignages, une partie de la minute est consacrée à la récupération physique (baisse de la fréquence cardiaque, hydratation, ventilation, soins).

L’autre partie est dédiée au coaching, c'est à dire aux échanges verbaux permettant de rassurer et de motiver le boxeur, ainsi qu'aux réajustements techniques et tactiques.

Si la récupération physique a une incidence incontestable sur la performance globale du combat, il est intéressant de déterminer si le coaching est efficace, c’est-à-dire s’il a une incidence sur le résultat final.

Définir la stratégie du combat pour espérer un coaching efficace

Tony Ancelin, champion du Monde de Savate, et ses coachs Fathi Mira et Jérôme HuonEn préambule de l’étude des minutes de repos, il est important de préciser que les coachs et boxeurs auditionnés ont préparés ensemble les combats. Ils ont donc travaillé sur la mise en place d’une tactique en amont du combat. Sans équivoque, l’improvisation n’a pas sa place en amont de la rencontre. Les résultats indiquent qu’un schéma tactique est défini avant la rencontre dans la quasi-totalité des 47 cas (26 réponses « toujours » et 21 « parfois »).

Ce schéma tactique est également rappelé le jour de la compétition. Le vestiaire ou la salle d’échauffement sont les lieux privilégiés pour le rappel du schéma tactique (45 cas sur 47). Le trajet (12 cas) pour se rendre sur le lieu du combat et l’instant immédiat précédent le début de la rencontre (14 cas) sont également des espaces de rappel.

Enfin, sur le plan de la définition de la tactique prévue pour le combat, deux « écoles » se distinguent : une plutôt directive ou le coach est le décideur unique (20 cas) ; une autre, plutôt démocratique, où le schéma tactique est décidé par le sportif et le coach (27 cas).

60 secondes idéales vues du ring

Pour 44 des 47 sondés (coachs et boxeurs), la minute de repos est destinée conjointement à la récupération et au passage de consignes. Il est intéressant de savoir plus en détail comment sont utilisées ces 60 secondes et ce que chacun en attend.

Les attentes des boxeurs

  • « Récupérer pour repartir à 100%. »
  • « Récupération maximale et instructions simples et précises. »
  • « 20 /30 secondes de récupération avec des encouragements et ensuite les consignes. »
  • « Boire de l'eau, se calmer et respirer afin de bien récupérer et être à l'écoute des consignes. »
  • « Une minute de repos avec une bonne respiration - sérénité - des consignes données calmement et le rythme cardiaque qui redescend. »
  • « Une bonne récupération et des infos simples et réalisables qui découlent du schéma des reprises précédentes, pour mieux faire la différence. »
  • « Boire d'abord sinon je n'écoute rien ; ensuite, les consignes sur ce que je dois faire : comment m'adapter à l'adversaire et revoir ou réadapter les coups et techniques que je n'arrive pas à placer. »
  • « Dans un premier temps, retour rapide sur la reprise précédente pour évaluer la situation du combat (avance, retard). Ensuite, une ou deux consignes précises (pas de flou) pour repartir du coin avec les idées claires et quelque chose à appliquer ! »
  • « J'arrive dans le coin, le coach est calme. De 0 à 15 sec, il me demande si ça va et me donne à boire. De 15 à 45 sec, il fait un bilan de la reprise, puis me donne deux consignes maximum. De 45 à la fin, il me rassure et me booste pour la reprise suivante. »

Les éléments suivants semblent fondamentaux pour les boxeurs : reprise de la respiration et récupération cardiaque ; hydratation, ventilation ; réception de consignes simples ; remotivation ; en moindre proportion, réception d’indications quant à l’évaluation du score et prise d’information sur l’adversaire. Un besoin de sérénité du coach et de structuration de ses actions apparait également.

Ce que font les coachs

  • « Récupération, hydratation, une ou deux consignes simples. »
  • « 20/30 sec de récupération au calme et réhydratation ; transmission d’infos flash avec des mots clés. »
  • « Laisser l'athlète bien récupérer. Donner quelques informations sur ce qui vient de se passer. Transmettre des conseils pour la reprise à venir. Juste avant la reprise du match : donner les mots clés. »
  • « Récupération du tireur, transmissions de deux consignes, hydratation, rappel et encouragements par une phrase clé. »
  • « Retour rapide sur les sensations physiques, psychologiques et tactiques du boxeur. Continuité ou modification du schéma tactique initial. »
  • « 30 premières secondes accordées à la récupération et aux soins du boxeur, sans transmission de consigne. 30 dernières secondes : prise d’informations sur le ressenti du boxeur puis transmission de consignes. »
  • « Laisser récupérer le boxeur puis l'interroger sur son état physique afin de voir sa lucidité. Transmettre des informations que mon tireur n'aurait peut-être pas vues sur le comportement de son adversaire pendant la reprise écoulée. Lui proposer une ou deux techniques maximum à placer lors de la reprise suivante. »
  • « Apaisement et récupération avec cohésion cardiaque pendant 50 secondes. Prise et transmission d'informations en fonction de la stratégie employée. Réactivation et concentration les 10 dernières secondes. »

Les points fondamentaux rapportés par les boxeurs se retrouvent dans les témoignages des coachs. On peut noter également l’importance de mots ou phrases clés pour transmettre des informations de motivation. Est également à relever, la volonté de certains coachs de donner la parole aux tireurs afin de recueillir des informations utiles au coaching.

L’avis de Christophe FRANCK, coach et auteur d’E-SPORTING-COACH.FR

« Cette convergence des éléments jugés fondamentaux est somme toute assez logique. D’abord, une majorité des coachs sont eux-mêmes des anciens compétiteurs. Ils savent donc ce qu’on attend quand on rentre dans le coin. Ensuite le temps de repos est court entre deux reprises intenses ; cela laisse peu de fantaisie dans la gestion de ce temps. Néanmoins, il faut bien personnaliser son intervention pour chaque boxeur. Certaines paroles qui ont du sens pour certains n’en ont pas pour d’autres. De la même façon, si le boxeur n’est pas réceptif pour cause de trop grande fatigue ou parce qu’il a été ébranlé par un ou des coups, le coach a intérêt, à mon avis, à privilégier la récupération et les soins. »

Domaines concernés par le coaching

La question du domaine concerné par le coaching - technique, tactique, physique, psychologique – a été soumise aux coachs et boxeurs. Plusieurs réponses étant possibles, il en résulte que trois points sont majoritairement au centre des échanges : ceux d’ordres technique (89%), motivationnel (85%) et tactique (83%). Viennent ensuite ceux concernant le physique (23%) et la gestion du stress (15%).







L’essentiel et puis c’est tout

Un boxeur qui entre dans son coin a besoin de récupérer comme il a été vu précédemment. Si les consignes sont passées dans la deuxième partie de la minute, il est évident que le coach doit être bref, clair, concis. Il n’y a pas de place aux discours fleuves et confus.

Un nombre de deux consignes semble être un bon compromis pour faire un réajustement durant la minute. Car au-delà de sa transmission, la ou les consignes doivent être entendues, comprises et appliquées. Une divergence assez nette apparait entre l’impression des boxeurs et des coachs.

Une seule consigne transmise : 67% des coachs ont une perception positive de l’efficacité d’une seule consigne pour seulement 28% des boxeurs.

Deux consignes transmises : 26% des coachs estiment que les deux consignes ont été appliquées avec efficacité alors que 47% des boxeurs ont cette impression. Par contre 100% des coachs et 93% des boxeurs pensent qu’une consigne sur les deux est appliquée.

Trois consignes transmises : l’avis des coachs et des boxeurs est unanime sur la perception de l’application avec efficacité des trois consignes (moins de 1%). En revanche 67% des coachs pour 44% des boxeurs pensent qu’une ou deux consignes sur les trois sont appliquées avec efficacité.

Le coaching perçu comme efficace mais pas forcément gagnant

A priori, le coaching a raison d’être. 94% de l’ensemble des 47 coachs et boxeurs l’estime efficace. Par contre une divergence assez nette apparait sur la question du coaching gagnant. 41% des boxeurs pensent que le coaching fait souvent gagner alors que plus de 76% des coachs sont persuadés que le gain du combat est souvent dû à leur coaching.

L’avis de Jérôme HUON, ex-combattant de haut niveau, entraineur national, et auteur de l’étude

« La différence de perception du coaching ¨souvent¨ gagnant entre les boxeurs et les coachs traduit une survalorisation de l’importance de l’action de ces derniers. Les tireurs considèrent bien, comme les coachs, le coaching comme efficace, mais cette efficacité ne conduit pas nécessairement à la victoire du combat. »

Analysons, proposons, innovons

L’étude montre que les coachs ont la volonté de structurer la préparation des combats. La stratégie est décidée et travaillée en amont de la rencontre. Le coaching peut alors s’appuyer dessus. Toutefois, il n’y a pas de formation offrant aux entraineurs des contenus permettant l’appropriation d’une méthodologie adaptée et efficace. Le processus existant majoritairement à ce jour est la construction d’un cadre basé sur l’expérience du coach et sa capacité à percevoir les feedbacks renvoyés par son boxeur, agrémenté de quelques connaissances en préparation mentale.

Sans être exhaustif, on peut imaginer le squelette d’un coaching optimisé en suivant les pistes suivantes :

  1. Dans un premier temps, il faut créer les bases d’une communication efficace lors du combat en la préparant bien en amont. Plus elle sera riche, honnête et personnalisée à l’athlète, plus la transmission de consignes lors de la minute de repos permettra d’être percutante et d’atteindre l’objectif. Pour cela, il faut que le coach apprenne à connaitre son boxeur, qu’il perçoive ses forces et ses faiblesses, qu’il n’hésite pas à être accessible pour qu’à son tour le sportif puisse lui faire un retour sans filtre restrictif sur ses impressions.
  2. Dans un deuxième temps, il faut anticiper et préparer le schéma tactique à mettre en place pour le combat. Ce schéma doit être décidé et travaillé de manière collaborative et avec adhésion du boxeur. Le cadre de la tactique prévue permettra de donner des bases pour assoir le coaching. La connaissance du niveau technique et émotionnel du boxeur permettra de modifier le schéma tactique, si besoin, en cours de rencontre.
  3. Lecture des signaux corporels émis par le boxeur. Le corps, le visage, le regard ne mentent pas sur l’état du boxeur. Sans entrer dans une démarche digne d’un mentaliste, observer son boxeur permet d’obtenir des renseignements sans poser de question. Un visage livide, un regard qui se perd dans le public, un corps qui tremble, etc. sont des indications sur l’état de stress du sportif.
  4. Utilisation par le coach de phrases claires et adaptées à la personnalité du boxeur, pour maitriser les objectifs et rester cohérent par rapport au schéma mis en place. Jérôme Huon propose une boite à outils avec des phrases exemples en fonction de l’objectif visé (cf grille d’aide au coaching).

Evidemment, il n’est pas question d’enfermer le coach dans une structure rigide. Si la démarche proposée permet de lui donner un cadre, il est également important qu’il puisse exprimer son intuition.

Grille d’aide au coaching (Jérôme Huon)

Motivation => par élément de motivation :

  • « Ne lâche rien ! »
  • « Montre à tout le monde que tu as plus envie de gagner que lui ! »
  • « Dernière reprise, on donne tout et on rentre avec une victoire nette ! »

Confiance, motivation => par feedback positif :

  • « Superbe reprise ! »
  • « C’est bien, il faut continuer comme cela »

Confiance, motivation, prise de conscience => par score feedback :

  • « Celle-là elle est pour toi ! »
  • « On la perd cette reprise ! »

Prise de conscience, motivation => par score menace :

  • « On perd deux reprises, il en reste trois. Si tu ne les gagnes pas toutes les trois, tu perds le combat. »
  • « Il reste une reprise et tu es trop en retard pour gagner aux points ; soit tu le mets hors combat, soit tu perds ! »

Solution technique => par consigne technique :

  • « Utilise ton direct bras avant en attaque »

Solution technique => par renvoi technique :

  • « Tu l’a touché sur ton direct bras arrière à la 1ère, il faut retenter »
  • « Souviens-toi, lors de ton dernier combat, la qualité de tes chassés bas… »

Solution tactique => par consigne tactique :

  • « Travail plus en riposte qu’en attaque »
  • « Utilise les contre-attaques. »
  • « Travaille en ligne »

Solution tactique => par renvoi tactique :

  • « Sur le début du combat, le déplacement te permettant d’être plus disponible et réactif, reviens sur ce schéma »
  • « N’oublie pas qu’en combat de poule, la contre-attaque fonctionnait très bien sur lui »

Solution physique (énergétique, force, vitesse) => par consigne physique :

  • « Il faut produire plus, augmenter le rythme du combat »
  • « Tu dois mettre plus d’impact, frapper moins mais plus fort »

Schéma tactique => par rappel technique :

  • « Reste sur le travail des chassés avant »
  • « Souviens-toi de ce qu’on a travaillé pour contrer son fouetté bas arrière »

Schéma tactique => par rappel tactique :

  • « Quand il attaque en poings, rappelle-toi des consignes : on se déplace et on travaille en dominante pieds »

Protection => par alerte :

  • « Attention à la puissance de son bras arrière, lève tes mains ! »

Solution technique et/ou tactique, motivation => par mot clef :

  • « Attitude ! »
  • « Dur ! »
  • « Intensité ! »
  • « Production ! »
  • « Mental ! »

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